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Astyan projeta aussitôt son esprit vers la flotte inconnue. Un flot de joie lui gonfla alors la poitrine. Il se pencha et hissa la jeune femme sur son cheval.
— Regarde bien, petite sœur ! C’est la victoire qui nous arrive avec ces vaisseaux !
— Qui sont-ils ? demanda-t-elle, émue par la réaction du Titan.
— Kronos et Rhéa !
Il avait immédiatement reconnu les schèmes mentaux de ses compagnons. Cependant un élément le surprit : la flotte d’Étrusia ne comportait qu’une cinquantaine de navires de combat. Or l’escadre qui s’approchait ne comptait pas moins de deux cents vaisseaux, qui déjà prenaient ceux d’Ophius à revers, en se déployant en éventail pour leur interdire toute fuite.
Astyan serra la jeune femme contre lui et lui souffla :
— Vous avez tous combattu avec courage ! Va, petite sœur, va porter aux autres le message : la fin du cauchemar est proche !
Elle se laissa glisser du cheval du prince, lui adressa un sourire radieux, puis s’enfuit en courant vers un temple que l’on avait aménagé en hôpital. Il songea un instant qu’il ne lui avait même pas demandé son nom. Mais cela n’avait pas d’importance. Il donna un vigoureux coup de talon dans les flancs de son cheval et fila vers Karinatos. Cette fois, Tlazol allait payer ses crimes.
Cependant la Déesse des immondices avait elle aussi aperçu l’arrivant. Malgré sa rage, elle n’avait guère progressé vers le centre de la ville. Ces maudits Atlantes se battaient avec un courage qui frisait l’inconscience. Parfois la haine et la volonté qui émanaient de leurs esprits mêlés se révélaient capables de contrebalancer les ondes destructrices qu’elle projetait vers eux. Sa victoire contre Woodian, dont elle avait déchiqueté le corps dans un élan de fureur, lui avait coûté très cher. Cette cité était un véritable piège. Plus de la moitié de ses guerriers, déjà affaiblis par les radiations, avaient succombé sous les coups de ces chiens de Poséidoniens.
En elle s’était creusé un vide atroce. Baâl et Moloch avaient péri, tués par Astyan et ce traître d’Athor. Désormais les Géants n’étaient plus que quatre, si l’on comptait Ashertari, qui avait disparu du champ de bataille. Eris ne résisterait pas longtemps devant Athor. Quant à Ophius, il allait se retrouver face à face avec les deux derniers Titans qui venaient d’arriver en renfort. Elle ne donnait pas cher de son sort.
Autour d’elle ses guerriers reculaient, perdaient du terrain. Déjà certains d’entre eux avaient fui ou s’étaient rendus. Des lâches, qu’elle n’avait pu poursuivre de sa colère. Maintenant Astyan venait vers elle. Il voulait l’affronter. Elle serra les dents. Peut-être était-elle capable de le vaincre. Mais pour la première fois elle doutait d’elle-même. Ne disait-on pas qu’il était le plus puissant des Titans ? Si elle perdait, qu’adviendrait-il ?
Elle ne pouvait supporter l’idée d’une victoire atlante. Elle hésita un instant, puis hurla qu’on lui fit amener son cheval. Il lui restait encore un atout à jouer – un atout décisif.
Lorsque Astyan parvint sur les hauteurs de Karinatos, la plus grande confusion régnait dans les rangs des envahisseurs. Certains continuaient de se battre, tandis qu’en d’autres endroits, ils rendaient les armes.
— Tlazol ! hurla Astyan. Viens me combattre si tu l’oses !
Mais elle avait disparu. À ce moment un homme se rua vers lui, armé d’une lance qu’il projeta de toutes ses forces en direction du Titan. La rapidité de ses réflexes sauva le demi-dieu ; il empoigna l’arme en pleine course, puis la retourna et la relança vers son agresseur, qu’elle traversa de part en part. L’autre tituba, puis s’écroula en vomissant du sang. Alors les guerriers qui l’entouraient jetèrent leurs armes.
— Aie pitié de nous, Seigneur ! s’écria l’un d’eux. Tu viens de tuer Jadern, notre commandant.
— Où est Tlazol ? hurla-t-il.
— Partie ! Elle nous a abandonnés.
— Belle leçon de courage, en vérité !
Il sauta à bas de son cheval et s’agenouilla près de Jadern, dont les yeux vitreux trahissaient la mort prochaine. Lorsqu’il vit approcher le Titan, il trouva la force de cracher dans sa direction et souffla d’une voix presque inaudible :
— Tu ne peux plus rien contre elle, Titan ! Elle va vous anéantir tous ! Tous !
Il eut un dernier hoquet, puis s’écroula, le visage dans la boue. Astyan se redressa, livide ; à l’instant de mourir, le cynique Jadern – dont il avait compris qu’il avait activement participé à la mort de Fraïa – n’avait pu celer la raison du départ précipité de Tlazol.
— Grands Dieux, aidez-moi ! Il faut que je la rattrape. Elle va détruire l’Atlantide.
En lui se forma l’image de quatre tubes oblongs, noirs, qui renfermaient dans leurs flancs une mort atroce, celle des pierres de feu que Tlazol la maudite détenait encore. Une arme ultime dont elle était bien décidée à se servir.